Pour une exploitation artisanale durable du bois d’œuvre au Cameroun

11/06/2025
Promouvoir et formaliser l’exploitation artisanale du bois d’œuvre en Afrique centrale est le but du projet PROFEAAC qui a permis une analyse complète de la filière bois, de la forêt jusqu’aux marchés urbains. Depuis 2020 le Cirad a accompagné la structuration et la professionnalisation d’un secteur aussi dynamique que marginalisé. En effet, la filière du bois artisanal au Cameroun est encore négligée, parfois même criminalisée. Le permis d’exploitation du bois d’œuvre (PEBO), censé permettre aux artisans de travailler légalement, est gelé depuis 2012. Avec nos partenaires nous avons mesuré la dégradation forestière par images satellitaires. Nous avons pu ensuite mettre en place des sites de sciage légalisés dans des communes pilotes, former des exploitants et structurer des coopératives locales, mais aussi sensibiliser le public à l’utilisation du bois d’origine légale. Après cinq années et demie d’actions sur le terrain, quels sont les enseignements, impacts et perspectives pour ce pilier souvent invisible de l'économie forestière en Afrique centrale ?
Présentation portant sur la réhabilitation forestière au Cameroun. © S. Koutchou, Cirad
Présentation portant sur la réhabilitation forestière au Cameroun. © S. Koutchou, Cirad

Présentation portant sur la réhabilitation forestière au Cameroun. © S. Koutchou, Cirad

Le bois artisanal, bien qu’omniprésent dans la vie quotidienne des Camerounais, que ce soit dans la construction ou la fabrication de meubles reste pris dans un paradoxe : indispensable mais largement marginalisé. Malgré sa contribution majeure à l’approvisionnement national en sciages, cette filière opère encore dans l’ombre, sans reconnaissance officielle ni soutien. Le gel du Permis d’Exploitation du Bois d’Œuvre (PEBO) depuis 2012 prive les petits exploitants de toute possibilité d’exercer légalement leur activité, les maintenant dans une informalité subie. Et pourtant, ces artisans sont porteurs d’un véritable savoir-faire et d’un dynamisme économique qui mérite d'être valorisé. 

Le projet PROFEAAC, en révélant l’ampleur et la pertinence de cette filière grâce à une analyse rigoureuse de la chaîne de valeur, rappelle la nécessité d’un changement de paradigme : formaliser, professionnaliser et reconnaître le bois artisanal comme un levier stratégique pour une gestion durable et inclusive des ressources forestières.

Quels risques pose l’informalité de l’exploitation du bois d’œuvre en Afrique centrale ?

L’informalité de la filière bois artisanal ne se traduit pas uniquement par une absence de reconnaissance ou de soutien institutionnel. Elle a également des conséquences profondes sur la régulation, l’environnement et la durabilité des ressources forestières.

En effet, l’absence de contrôle effectif rend difficile la prévention des injustices au sein de la filière, ouvrant la porte à des pratiques abusives ou inéquitables.

Elle empêche par ailleurs toute évaluation rigoureuse de l’impact environnemental de l’activité : sans données fiables, il est difficile de mesurer les effets de l’exploitation sur l’état des forêts. Ce manque de visibilité constitue un frein majeur à la mise en œuvre d’une gestion durable et raisonnée des ressources.

 À long terme, l’exploitation hors cadre légal compromet les efforts d’aménagement des écosystèmes forestiers et met en péril la préservation des forêts, pourtant essentiels à la résilience des communautés locales et à la lutte contre les changements climatiques.

Quels résultats concrets pour les forêts et les scieurs ?

PROFEAAC a permis d’obtenir des résultats significatifs à travers ses quatre composantes, avec des impacts mesurables à la fois sur la gestion des forêts et sur la structuration du métier d’exploitants forestiers.

Composante 1 : Estimation et suivi de la dégradation liée à l'exploitation artisanale

Cette estimation et ce suivi ont été réalisés dans 8 villages et ont permis d’identifier les scieurs et leurs chantiers d’exploitation artisanale :

  • Huit villages ont été parcours dans les zones rurales de Mindourou (Nemeyong, Ampel, Eden et Medjoh) et de Dzeng (Ebod-Nkou, Aka'a, Assok et Mekom).
  • Trente-cinq chantiers d’exploitation artisanale ont été identifiés à Mindourou, et sont exploités par 28 scieurs différents.
  • Trente-neuf chantiers d’exploitation artisanale ont été identifiés à Dzeng, et sont exploités par 30 scieurs différents.

Ces données ont permis de localiser les activités de coupe, d’estimer leur impact sur la couverture forestière et d’établir une base de suivi de la dégradation.

Composante 2 : Appui aux expériences de réhabilitation forestière en République démocratique du Congo (RDC) et au Cameroun

Pour accompagner les communautés dans la restauration de leurs écosystèmes, deux guides pratiques et illustrés ont été élaborés par le Cirad, le CIFOR-ICRAF et l’Institut national de recherche forestière (IRF), puis diffusés auprès des populations locales. Il s'agit des ouvrages suivants :

  • « Production en pépinière des plants forestiers et fruitiers en Afrique centrale » : un manuel qui vise à faciliter la compréhension des étapes de la production des plants forestiers et fruitiers en pépinière, avant de les réintroduire dans leur espace de vie (champ, jardin de case, jachère). 
  • « Restauration forestière en Afrique centrale » : un guide qui montre comment les plants forestiers et fruitiers produits en pépinière doivent être mis en terre.

Composante 3 : Soutien à l'exploitation artisanale légale et renforcement des capacités des exploitants

Un volet clé du projet a consisté à professionnaliser les scieurs et à promouvoir une exploitation plus responsable :

  • Une quinzaine d’exploitants ont été formés aux techniques d’exploitation sécurisée et à faible impact dans les deux communes.
  • Trente scieurs artisanaux ont été formés à l’abattage dirigé dans les deux sites au Cameroun.
  • Trente scieurs supplémentaires ont bénéficié de formations en gestion financière et en analyse PESTEL (Politique, Economique, Sociologique, Technologique, Environnemental et Légal).
  •  Des coopératives de scieurs ont été créées et accompagnées, avec l’identification de sources légales de bois pour sécuriser leur approvisionnement.

Composante 4 : Régulation et valorisation de l’exploitation artisanale du bois dans le développement des entités territoriales décentralisées

Enfin, le projet a renforcé l’intégration de la filière bois artisanal dans les politiques locales :

  • Une analyse de la chaîne de valeur a été réalisée dans chaque commune concernée.
  • À Mindourou, une plateforme multi-acteurs a été mise en place pour faciliter la gestion communale des ressources forestières.
  • Deux coopératives d’exploitants forestiers artisanaux ont été créées afin de structurer la filière et faciliter l’accès au bois d’origine légal.
  • Des formations en gestion d’entreprise et administration des coopérative ont été dispensées pour améliorer la gestion des revenus.

Le ministère des Forêts et de la Faune (MINFOF) a joué un rôle central dans la conduite du projet, illustrant une collaboration rare et durable entre administration et chercheurs. La stabilité des équipes du ministère a été un levier clé du succès du projet. En revanche, l’implication d’autres administrations, comme l'Institut national de la statistique (INS), reste à construire, notamment pour intégrer les filières informelles dans les statistiques nationales.

Guillaume Lescuyer
Coordonnateur du projet PROFEAAC

Continuer les efforts pour une exploitation plus légale, plus durable et plus équitable du bois artisanal

Alors que le projet est arrivé à son terme, la priorité est à la pérennisation des acquis. Les acteurs communautaires, les marchés locaux et les filières déjà en place constituent une base solide pour continuer à faire évoluer la filière. Ces structures, ancrées dans les territoires et en lien avec un marché intérieur en pleine croissance, sont appelées à poursuivre le chemin vers une exploitation plus légale, plus durable, plus équitable.  PROFEAAC montre qu’une autre voie est possible : une exploitation artisanale du bois qui soit à la fois légale, durable et économiquement viable. Pour cela, il faut poursuivre l’accompagnement des artisansrenforcer les outils de régulation et faire évoluer les représentations institutionnelles. Un chantier ambitieux, mais indispensable pour préserver les forêts tout en soutenant les économies locales.

Piloté par le (CIFOR-ICRAF), PROFEAAC est principalement financé par le Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM) à travers l’(AFD). Le projet a également bénéficié de cofinancements de la (GIZ), du Cirad, de l’ (IRD) et de (TB RDC).