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Vivre la forêt : quand la recherche forestière entreprend un pas de côté

© Forestinnov
En forêt, un conflit permanent opère entre la conservation de la biodiversité et le développement économique. Toute forêt relève dès lors d’une hybridité social-écologique. Or, l’écologie forestière, aussi bien que la sociologie forestière ou la foresterie productive, pour ne citer que ces disciplines, échouent à appréhender la forêt par-delà le prisme de leurs regards respectifs. Elles peinent notamment à identifier des solutions réellement ancrées dans le tissu social et écologique du territoire. Mais le savent-elles ?
Pour des solutions ancrées dans le réel des territoires
Telle est la question dont se sont saisis 25 chercheurs de l’unité de recherche Forêts et Sociétés pour rédiger les 18 chapitres d’un livre original coordonné par Jacques Tassin, écologue au Cirad. L’ouvrage est paru chez Odile Jacob le 7 mai 2025, avec comme leitmotiv de ne jamais se contenter d’une idée reçue et, plutôt que s’arrêter à une affirmation, déployer la réflexion pour rechercher des causes ou des implications plus lointaines.
En questionnant la légitimité et la clairvoyance des experts, le livre Vivre la forêt propose une approche résolument critique et réflexive de la recherche scientifique forestière. Il y a, il est vrai, de quoi s’y perdre. Tout territoire forestier est en effet un complexe où siègent l’incertitude, la complexité, l’impermanence, la mise en jeu de chaines causales lointaines, les ambivalences et l’imprédictibilité. « C’est le règne des problèmes dits pernicieux, marqués par l’absence de solutions claires et définitives, par la présence d’acteurs aux valeurs conflictuelles, et par l’emboîtement avec d’autres problèmes » prévient Arthur Perrotton, ethnoécologue et modélisateur au Cirad.
Il s’agit de déneutraliser la posture du chercheur et la production de connaissances scientifiques.
Les choix opérés par les chercheurs pour affronter ou ignorer ces problèmes mal solutionnables y revêtent dès lors, de manière sous-jacente, une dimension politique inconsciente ou non. Le consensus le plus flagrant, d’inspiration post-coloniale, est de confier au Sud la charge de la conservation de la forêt. D’autres représentations chargées de sens, tel le mythe de la forêt primaire, en dépit d’une multitude d’informations archéologiques le démantelant, conduisent tout autant à déshumaniser les forêts.
En outre, il s’agit de quitter notre mirador occidental pour, à la faveur d’un minimum d’empathie et de compréhension, tenter de traduire le regard du Sud. « Il faut considérer que la gestion durable des forêts tropicales est une construction occidentale vouée à maintenir des ressources dans le temps, tout en permettant leur valorisation économique », rappelle Guillaume Lescuyer, économiste au Cirad. Cette considération issue du Nord a cependant été entérinée sans réelle discussion avec les pays du Sud, et malgré les COP qui se succèdent. Or, ces pays peuvent légitimement être disposés à voir diminuer leur capital naturel si leur capital économique et social s’accroît. « Il s’agirait tout autant de déconstruire ce mythe tenace qui, par raccourci sémantique, conduit à assimiler communautés locales et gestion satisfaisante des communs », poursuit le chercheur.
Quitter le promontoire du sachant
Vivre la forêt, ce n’est donc pas vivre avec, par, ou dans la forêt. C’est prêter attention au point de vue de l’autre, humain comme non-humain. C’est quitter le promontoire du sachant pour, au contraire, consentir aux incertitudes et aux inconnaissances. C’est être disposé à devoir composer avec des adversités que nous ne savons parfois pas même appréhender. « S’il est un message central dans ce livre, c’est vraiment celui d’une nécessaire prise de conscience des raccourcis ou des fantasmes que la recherche forestière véhicule sans parfois même s’en rendre compte, avec des implications qui sont pourtant loin d’être neutres pour les populations qui… vivent les forêts », conclut Jacques Tassin.