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Sortir de l’impasse du changement d’échelle : un nouveau regard pour des systèmes alimentaires plus durables

Le Nordeste brésilien connait régulièrement des sécheresses importantes © Freepik
L’essentiel
- Les notions de « changement d’échelle » ou de « passage à l’échelle » ne résistent pas à l’épreuve de la réalité, car répliquer des projets pilotes ne suffit pas à générer des transformations systémiques.
- Les territoires doivent être reconnus comme espaces d’innovation : le local n’est pas seulement un point de départ, il est un levier central pour faire évoluer les politiques nationales et internationales.
- Miser sur les « champions du changement » et les processus de médiation pour porter la voix des territoires, créer des espaces de dialogue entre les échelles, structurer des démarches collectives innovantes sont autant de leviers pour sortir du statu quo.
Depuis plusieurs décennies, la promesse d’un « changement d’échelle » est au cœur des discours sur le développement. Il s’agirait de passer d’initiatives locales réussies à des politiques globales efficaces, par simple effet de multiplication. Pourtant, ce modèle linéaire atteint aujourd’hui ses limites. Dans le numéro 65 de la collection « Perspective », Patrick Caron, chercheur au Cirad, propose une grille de lecture renouvelée : c’est moins d’une montée en puissance que d’un changement de logique dont nous avons besoin.
Dépasser l’injonction du passage à l’échelle
Au lieu de chercher à répliquer des solutions toutes faites, l’auteur plaide pour une dynamique de « contamination » entre échelles locales, nationales et internationales, où les territoires jouent un rôle clé de médiation et d’assemblage. Le policy brief explore la richesse du « bricolage » territorial, ce travail d’ajustement, d’expérimentation et de négociation qui permet de faire émerger des alternatives durables et contextualisées. Il devient dès lors plus pertinent de faire dialoguer les expérimentations, les institutions et les politiques dans un écosystème complexe et en constante évolution pour impulser cette « contamination » souhaitée.
L’exemple de Massaroca, expérimentation locale aux répercussions nationales
À Massaroca, une petite localité semi-aride du Nordeste brésilien, un projet d’appui à l’agriculture familiale lancé dans les années 1990 a servi de véritable laboratoire d’innovation territoriale. L’objectif initial était simple : accompagner 250 familles d’éleveurs dans la mise en place de pratiques plus durables, notamment en matière d’alimentation animale. Très vite, l’expérience a montré que les résultats ne pouvaient être compris sans prendre en compte les logiques sociales, foncières et économiques locales. Par exemple, au lieu de suivre les recommandations techniques sur la culture de fourrages, les éleveurs ont utilisé les crédits alloués pour clôturer des parcours collectifs, modifiant en profondeur les usages et les rapports de pouvoir dans la communauté. Ce comportement, loin d’être un échec, révélait en réalité des tensions structurelles ignorées jusque-là par les politiques publiques.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là : les leaders communautaires de Massaroca ont porté leur expérience jusqu’à la capitale de l’État de Bahia, plaidant pour une réforme des statuts fonciers. Cette initiative locale a ainsi contribué à faire évoluer les cadres juridiques et fiscaux encadrant l’usage des terres collectives. En parallèle, les enseignements de Massaroca ont nourri un zonage agroécologique à l’échelle régionale, puis municipale, adapté aux réalités du territoire de Juazeiro (5 600 km²). À chaque niveau, l’expérience a été recontextualisée, sans chercher à dupliquer à l’identique, mais en tirant des enseignements ajustés aux enjeux propres à chaque échelle.
Cet exemple montre que le changement ne repose pas sur la simple réplication, mais sur une dynamique d’apprentissage, de médiation et d’appropriation territoriale. C’est ce type de « bricolage stratégique », patient et contextuel, qui peut inspirer de véritables transformations systémiques.
Ce policy brief s’inscrit dans la continuité des réflexions portées par le , dont le Cirad est partie prenante. Le Processus de Montpellier ou Montpellier Process vise à renforcer l’intelligence collective autour des transformations des systèmes alimentaires, en s’appuyant sur les initiatives locales pour impulser des dynamiques globales.